Centre d’écoute Le Havre | témoignages de presse du centre d’écoute Le Havre
Accueil, confidentiel, gratuit, solitude, aide, écoute, solidarité, bénévolat, aider, entraide, dépendance, santé mentale, souffrance, bénévole, référence
15857
page,page-id-15857,page-template-default,ajax_fade,page_not_loaded,,vertical_menu_enabled,qode-title-hidden,side_area_uncovered_from_content,qode-theme-ver-9.1.2,wpb-js-composer js-comp-ver-5.5.2,vc_responsive

Presse

Entrevue à Radio-centre-ville

28 janvier : Entrevue à Radio-centre-ville, à l’émission « Folie douce ». Invitée : Danielle Thibault, bénévole et responsable de la formation. L’entrevue débute à la 30e minute.

https://www.youtube.com

(cliquez sur l’adresse ci-dessus ou copiez-la dans votre navigateur)

Émission Médium Large, Radio-Canada : La formation des écoutants dans les centres d’écoute 

Le 12 janvier 2015, sur les ondes de Radio-Canada Première, une bénévole a participé à l’émission Médium Large, animée par Catherine Perrin. Une séquence de cette émission portait sur la formation des écoutants dans les centre d’écoute. Voici le lien pour y accéder.

http://www.radio-canada.ca

(cliquez sur l’adresse ci-dessus ou copiez-la dans votre navigateur)

Libre opinion – La souffrance ne prend pas de vacances

Le Devoir, 10 septembre 2010

Danielle Thibault – Écoutante au centre d’écoute Le Havre

Au retour des vacances du centre d’écoute Le Havre, les gens qui nous appellent nous ont dit avoir trouvé le temps long. «C’est long deux semaines» quand «j’ai rien que vous autres». Oui, on le sait, on l’entend dire, notre société produit de l’exclusion. Mais concrètement, qu’est-ce que ça veut dire, l’exclusion?

L’exclusion est toujours la conséquence d’une fragilité: pauvreté économique, pauvreté sociale et culturelle, maladie physique ou mentale, détresse psychologique. Les fragiles, exclus du système de production, sont exclus de la vie sociale par leurs concitoyens, quand ils ne s’en isolent pas eux-mêmes, par honte ou découragement. L’exclusion, c’est une solitude mur à mur pour beaucoup de gens qui, en raison de fragilités de toutes sortes, d’ordre physique, psychologique, social ou économique, sont isolés au point de ne plus avoir personne à qui parler. Pas trop grave, pensez-vous? Il y a pire: ne pas pouvoir travailler, ne pas pouvoir marcher, ne pas avoir à manger, être malade.

Mais si l’être humain se définit d’abord et avant tout comme un être de relation, pour qui la relation est ce qui est primordial, alors ce manque est source de grande souffrance. Et si le besoin d’être en relation était à la base de tout le reste? De la capacité à se construire, à s’intégrer, à être utile, à être heureux? Ce qui cause désolation et désespoir, ce n’est peut-être pas tant avoir des difficultés (ce qui est en grande partie inéluctable), c’est de vivre seul les difficultés de la vie. C’est d’être malade seul. C’est de n’avoir personne à qui parler de sa détresse, de sa révolte d’être en chômage, d’être prisonnier d’un fauteuil roulant, d’une maladie mentale ou physique. C’est n’avoir personne à qui raconter les événements de sa vie. Bref, c’est n’exister pour personne.

Mais est-ce qu’il y a tant de gens isolés? Les bénévoles des lignes d’écoute vous le diront, on ne suffit pas à la tâche. Au Havre, nous ne pouvons répondre à tous les appels faute de personnel. Il semble que, dans les actions d’aide bénévole, l’écoute soit le parent pauvre. On choisit un bénévolat qui semble plus proactif, plus directement efficace. Il n’y a pas longtemps, un slogan de Bénévoles Canada déclarait: «Les bénévoles: de la compassion à l’action». On comprend qu’il n’y a là que bonne volonté.

Mais c’est quand même suggérer que la compassion n’est pas une forme d’action, qu’elle n’est pas efficace en elle-même. Or, elle l’est, mais à condition d’être exprimée et ressentie, bien sûr. L’écoute, c’est justement ça, la compassion en action. Puisque l’écoute, c’est laisser être, laisser l’autre être ce qu’il est en se disant, c’est en un sens le plus grand cadeau qu’on puisse faire à quelqu’un: le don d’exister. Malheureusement, dans notre société activiste, laisser être, trop souvent ça ne semble pas assez.

L’action bénévole souffrirait-elle du même préjugé que l’idéologie socio-économique dominante, celui-là même qui cause l’exclusion sociale: que «la valeur» se calcule au taux de production, y compris la valeur humaine? Dans une société où il n’y a que les forts qui obtiennent une place, la fragilité n’est guère tolérée. On ne veut pas trop la voir, on délègue à l’État et à ceux qui font profession de s’en occuper. Peut-être parce qu’elle ne semble pas assez interventionniste et volontariste, «l’écoute reste la grande oubliée de notre société moderne en pleine révolution des communications» (Jean Dion, Le Devoir, 25 mai 2000). Et encore, quand on se donne la peine d’écouter, il arrive qu’on restreigne l’écoute dans des limites qui semblent «raisonnables» (ou tolérables?). Comme si le soulagement de l’angoisse humaine pouvait se plier au chronométrage: vous avez 20 minutes pour vous apaiser. Prêt? Partez!

Au Havre, on a choisi de laisser à l’autre le temps de se dire, abondamment ou labo-rieusement, et même dans le silence. On a choisi d’écouter — pas de penser pour l’autre, de conseiller, d’intervenir, d’interpréter —, sans préjugé et sans jugement, en laissant à l’autre le temps et la place qu’il lui faut pour s’exprimer et ainsi peut-être arriver à se comprendre. Car l’efficacité de l’écoute, c’est qu’elle ouvre une possibilité de transformation émotionnelle dès lors que l’expérience est partagée (Cyrulnik). Être écouté encourage à parler et peut-être enfin à s’entendre soi-même. Être écouté donne une chance de se comprendre, de comprendre sa problématique et d’y trouver ses propres solutions. Des jeunes arrivent à l’âge adulte sans n’avoir jamais été vraiment écoutés; des personnes âgées, honteuses de leur isolement, s’y enfoncent encore plus. À quelle identité, à quelle dignité peut-on prétendre quand on ne vaut même pas la peine d’être écouté ?

Au Havre, la relation est anonyme, ce qui est fondamental: on peut se dire avec moins de crainte d’être jugé. On peut dire ce que personne autour de soi ne veut plus entendre. Par le simple geste d’appeler une ligne d’écoute, ces personnes manifestent qu’elles sont (encore) en vie. S’il est vrai que tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, alors écouter, c’est contribuer à l’humanisation du monde.

Pourquoi désirer écouter? Chacun aura sa réponse intime. Parce que c’est un geste de solidarité élémentaire, au nom de ce que nous partageons, du fait, simplement, de notre commune condition humaine. Parce qu’écouter, c’est apprendre. Par l’effet paradoxal de toute relation d’aide, un rapport de réciprocité s’instaure: l’écouté apprend à l’écoutant sur la vie, sur l’humanité, beaucoup sur lui-même. Le don donne toujours à celui qui donne. À la fin, il arrive souvent qu’on ne sache plus trop qui a donné, qui remercie, de l’écouté ou de l’écoutant…